Poussant l’issue de secours
du rez-de-chaussée, le Diablotin et les survivants à sa suite débouchent dans un hall dallé de marbre blanc d’Italie, décoré de statues et de colonnades gréco-romaines, de plantes
délicates et d’œuvres d’art, féérie des sens, ravissement des yeux. Les miroirs encadrés d’or leur renvoient des reflets d’eux-mêmes, silhouettes cradingues couvertes d’étrons,
clodos-crado-puants réchappés d’une série B post-apocalyptique. Ils se concertent du regard. Ils ouvrent grand leurs gueules sales, braillent un coup, et partent à l’assaut du hall-bibelot pour
tout casser : toile de maître fist-fuckée par le poing d’une statue, pots de fleurs éclatant au milieu de miroirs brisés, vitres explosant en gouttelettes irisées, et coupantes. Une symphonie de
destruction cathartique improvisée, mais putain que ça défoule.
Ragaillardi par ce panorama ruiné, ce spectacle de beauté traînée dans la fange, le Diablotin se sent revivre. Il gonfle ses poumons d’air de révolte, irrigue ses alvéoles de molécules de pure
anarchie. Derrière les portes transparentes donnant sur l’extérieur, une clairière d’herbe verte, la masse sombre de bois de sapins découpée dans l’éclat irréel du couchant. La liberté, la vraie,
celle que l’on acquiert dans la lutte, au mépris des lois et de l’oppresseur, celle qui sent la poudre et le pavé, et non le vieux papier fané et la sueur rance de la compromission, songe-t-il.
Un parfum délectable entre tous, intoxicant de vigueur. Il fait signe à ses compagnons de le suivre. La forêt, notre salut. Poubelles, portemanteaux, rambardes… Ils s’en servent comme de béliers
pour faire céder les portes, frappant à coups de boutoir le sexe de verre de cet immeuble-ventre, accouchement-viol d’enfants damnés, affamés, avides de s’affranchir de la claustration
maternelle.
Les portes de verre volent en éclats. Avec elle, leur servitude.
Seconde sublime où l’Homme brise ses chaînes.
La Tour des illusions, 2011, éditions Lokomodo